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TABLEAUX PARISIENS
(2012, couleurs, son, 12 min.)


« Zum Raum wird hier die Zeit. Ici, le temps devient espace. » Parsifal - Wagner
À travers plusieurs volets (No.1, No.2, etc...) les 'Tableaux parisiens' proposent une actualisation des images du passé par la technique du montage. Utilisant le procédé allégorique de la poésie baudelairienne et l'image dialectique de Benjamin ce film tente de dynamiter le mythe d'une continuité historique véhiculée par l'idéologie du progrès.
« Une image est ce en quoi l'Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair pour former une constellation ». Walter Benjamin
Le film Tableaux parisiens compose une mosaïques d'idées et d'images sans rapport créant ainsi des lignes de forces tendues à leur maximum pour faire surgir une image de l'instant présent ou constellation.
La composition de ces lignes de force se rapproche de l'expérimentation scientifique. Comme un chimiste qui procède avec les éléments de la table périodique il expérimente des rapprochements d'images et de sons éloignés de par leur sujet. Faire réagir chimiquement la pellicule c'est décomposer l'Histoire des vainqueurs.
En effet, l'historicisme représente la tentative pour enrichir artificiellement une expérience appauvrie. Il occulte la rupture qui s'est produite dans la tradition, celle qui sépare le temps figé de l'archaïque et celui convulsif, accéléré et sans but de la modernité.
L'historicisme tente de rapporter à la vie ce qui a été pétrifié et réifié. Pour Walter Benjamin il faut accepter le temps hölderlinien de pauvreté dans lequel on vit, l'état de privation de l'expérience, partager le sort de l'époque et de la classe où cette pauvreté se manifeste.
Contre l'historicisme qui fait mouvoir ce qui est immobile, il faut viser à arrêter ce qui est en mouvement, à bloquer le train du progrès et de la révolution, à montrer la faciès hippocratica de l'histoire.
Dans la monade, dans sa cristallisation soudaine - à partir d'un arrêt et d'un choc - d'une cristallisation de pensées, ce qui avait été fixé avec rigidité reprend vie dans sa perspective historique. La monade, point de vue fixe se révèle comme l'unique mode susceptible de donner sens, horizon à la pluralité chaotique des évènements. C'est alors un présent qui s'oriente en fonction des attentes du futur.
Le montage cinématographique peut reconstruire ce processus depuis les fragments explosés du passé. Ce passé, pénétré et actualisé dialectiquement, révèle avoir en lui-même une charge explosive de futur comprimé, de possibilité interne de modification que la Jetzt-Zeit fait sauter.
La vraie connaissance, celle dont les formes contiennent les expériences temporelles non réifièes est analogue à l'éveil. Le passé est alors non pas comme un recueil fixe de souvenirs mais comme des images d'un rêve que seul le présent éveillé interprète et situe dans sa tension vers le futur.
La conscience éveillée est ainsi simultanéité/synchronie avec les images du passé.
Les manifestations de la surface sont les rêves éveillés du collectif présents particulièrement dans le cinéma et la publicité. Dans ces histoires invraisemblables il s'agit de désirs réprimés et d'utopies non réalisées.
Il faut brosser l'histoire à rebrousse-poils. Extirper le document de son contexte historique c'est décloisonner une époque de sa technique.
Avec le noir et blanc d'Auschwitz, on peut aisément proclamer, la main sur le coeur: « Plus jamais ça! ». Mais la catastrophe est permanente.
En mélangeant quatre techniques distinctes (pellicule noir et blanc, pellicule couleur, support analogique type retransmission TV et support numérique type DVD/BluRay), les 'Tableaux parisiens' se donne pour objectif de faire surgir les images latentes de notre société, aussi bien les rêves que les ruines.
Schéma représentant deux conceptions de l'Histoire radicalement opposées.

L'une des conceptions est progressiste et dédiée aux vainqueurs. L'autre est dialectique au repos et n'est visible que grâce à une configuration spatiale bien précise. C'est par la technique du montage que ce film tente de mettre en pratique cette conception de l'Histoire.
La connaissabilité du présent ne peut se faire que le temps d'un instant. Chaque présent n'est donc visible que par un agencement spécifique (plan de projection/écran de cinéma).





"On est d'emblée dans une simulation totale, sans origine, immanente, sans passé, sans avenir." Baudrillard - Simulacres et simulation
La technologie, l'informatique, la simulation.
Séquence de la ville créée avec le jeu vidéo Grand Theft Auto IV.

CRITIQUES
Ciné-club de Caen - Août 2012
" Le ciel, l'espace, les monuments parisiens. La mer, images vidéos, surimpressions. La destruction et le nazisme. Le rappel de la 1ere guerre mondiale, espace, ciel. La voix de Gilles Deleuze. Des ouvriers refoulés aux grilles des usines. Tableaux. Extraits de films d'actualité sur les chaines de montage, d'Octobre, attentats en Algérie. Slogan : La liberté de la presse c'est la liberté d'être tous d'accord.
À travers plusieurs volets (No.1, No.2, etc...) les 'Tableaux parisiens' proposent, selon Benjamin Bardou, une actualisation des images du passé par la technique du montage. Utilisant le procédé allégorique de la poésie baudelairienne et l'image dialectique de Benjamin ce film tente de dynamiter le mythe d'une continuité historique véhiculée par l'idéologie du progrès.
"Zum Raum wird hier die Zeit. Ici, le temps devient espace." (Parsifal - Wagner), "Une image est ce en quoi l'Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair pour former une constellation". (Walter Benjamin)
Bel exercice de montage rappelant les Histoire(s) du cinéma de Jean-Luc Godard. "
Jean-Luc Lacuve
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Le dernier coquelicot - Le cinéma du diable - Octobre 2012
Tableaux obsidionaux.
Benjamin Bardou est l'auteur inspiré de Tableaux Parisiens. Est-ce un film de montage? Seulement de montage? De montage comme d'autres, à la télévision ou ailleurs, en publicité, en entreprise, parlent de montage d'idées-couleuvres à faire avaler; usent du montage comme d'une hybridation ou déviance du réel en vue de « monter » un propos, fabriquer un point de vue, créer une opinion – et l'actualité ne cesse de le rappeler, « monter » c'est avant tout monter les uns contre les autres -; au sens encore d'élaborer une « fausse parole », et il serait alors intéressant, à l'intérieur même de l'histoire des propagandes, de cerner l'état actuel du mensonge, sa forme spécifique qui, de la simple manipulation langagière ou imagière avec pour but assigné la conviction, la connivence de son réceptionnaire, se mue en ce que l'anglais nomme « hoax », le ver dans le fruit, le canular dont personne n'est dupe des manipulations psychologiques à l'oeuvre, mais qui à l'opposé de la forme classique d'un mensonge manipulateur de foule est le parasite, objet même de manipulation par l'opinion : une propagande qui quitterait les imaginaires collectifs pour l'espace mouvant et virtuel... N'avons-nous pas plutôt là une film de re-montage : un film qui tourne le dos au démontage des usines, des êtres, au démontage du génome, de l'appareil neurologique, de la chaîne de production, et au cinéma de (dé)montage des faux-semblants, des apparences, dans des oeuvres critiques qui apparaissent parfois comme l'expression vaine de la raison; des films qui n'échappent pas à un certain ron-ron, au confort de celui-qui-sait et qui, tel le scorpion se piquant, retourne les armes (intellectuelles acquises) contre lui-même; qui laissent l'impression d'un vide inutile – d'un cinéma de déminage, d'un cinéma peureux, craintif de l'amputation et de la blessure à vie, à vif. Cinéma de re-montage, donc, de construction, d'utilisation de « blocs » - images et séquences – abandonnés à l'histoire, remontant une temporalité qui n'est pas seulement le temps sagittal, ni la continuité historique; un cinéma qui redresse un re-gard (à l'exemple de la fonction du regard en architecture), pour mieux re-vivre, ouvrir son spectateur à l'expérience. Que l'on ne s'y trompe pourtant pas, remonter ne signifie pas forcément revoir, retrouver le passage vers une histoire sous entendue souvent comme notre histoire, en un mot renouer. Peut-être s'agit-il seulement que perdure le caractère spectrale des images, et, contre la conception d'un progrès continu et son immédiat contraire le temps cyclique, l'éternel retour, - avec Walter Benjamin, - d'assumer la complexité, le morcellement, l'émiettement, la fragmentation de nos perceptions, de notre condition, d'adopter un regard d'ange déchu (un plan fameux de Péléchian l'illustre) en embrassant la catastrophe, d'être et de vivre ainsi que le théorise Serge Margel à hauteur d'apocalypse, c'est à dire peut-être dans le spectre des choses.
Benjamin Bardou a savamment expliciter sa démarche, qui semble n'être ni celle du progrès, ni celle de l'historicité, qu'elle soit flux continu qui emporte - avec lequel nous faisons corps sans possibilité de se dégager, d'avoir le recul nécessaire à une vue d'ensemble, qui immerge, noie d'informations, et nécessite pour entrevoir un avenir incertain de se situer, d'envisager la perspective et donc d'établir l'histoire -, qu'elle soit boucle, retour du même, constitutif d'un hypothétique génie du lieu. Deux perceptions qui ont conjugué dans la récente installation « Paris, la Ville à remonter le temps ». Une série d'écrans en demi cercle permettait de « voyager » en 3D dans le passé de la capitale, rassemblant dans le génie du lieu une chronologie, une frise, passant outre le corollaire à tous événements, la ruine... Etrange palimpseste auquel répond celui de Bardou fait de rapports, des disjonctions qu'ils induisent, de « correspondances », des « lignes de forces tendues » (BB), de décompositions « de l'histoire des vainqueurs », et ce pour mieux dresser des « tableaux vivants » où la ville apparaît effectivement comme une constellation : constellation des possibles réalisés, de sa réalité et de son présent, de ce qui aurait pu arriver, des traces de ses ruines, de ses ruines passés, futurs, potentielles. Nulle besoin de la 3D, de la grandiloquence de l'installation, pour brosser ce palimpseste, ou pour être plus précis un portrait obsidional. Benjamin Bardou cite Walter Benjamin : « Une image est ce en quoi l'autrefois rencontre le maintenant dans un éclair pour former une constellation ». Cette rencontre de l'autrefois et du maintenant, ce frottement, ne peut-elle être engendrée, voir se superposer à cette définition d'un type d'obsession et de sa mélancolie et que l'on trouve dans le magnifique Usage des Ruines de Jean-Yves Jouannais : « La mélancolie est produite par le mouvement de l'auteur autour de son objet, par le frottement occasionnée par cette giration approchée »? Obsessionnel, obsidional est cette tangente source de friction entre un sujet et l'objet qui l'assiège. « Assiéger, c'est obséder » note Jouannais. Sebald, avec notamment son ouvrage De la destruction comme élément de l'histoire naturelle, Stig Dagerman, et peut-être Benjamin Bardou selon notre hypothèse, découvrent que « le spectacle des ruines est à même de faire chanter [leur] obsession, de lui donner voix. Encore une fois, il s'agit là moins d'un spectacle que d'un contact, d'un frottement. » Ou encore, citons longuement L'usage des ruines, c'est Enrique Vila-Matas qui parle par l'entremise du malicieux auteur/narrateur : « Ce autour de quoi vous tournez, toi, Sebald, ce sont les ruines. Vous ne les quittez pas des yeux et votre attention à leur égard ne se relâche jamais. Mais vous n'y pénétrez pas. Qu'il y ait là calcul ou innocence, il n'en demeure pas moins que vous maintenez une distance constante avec les images des villes rompues, des vies interrompues, des vocations défaites. La portée des écritures est desaxée par la force de Coriolis qui explique également la déviation des trajectoires des bombes et des projectiles à longue portée. La mélancolie serait cela, de tourner longtemps, continûment autour des ruines. Et ainsi de pas les connaître. Ne pas les connaître afin que perdure leur caractère spectral, inouï. Ne pas les connaître pour que la littérature continue de graviter dans le champs des possibles. » Et l'ombre de Enrique Vila-Matas poursuit et ajoute que Sebald a décidé de pénétrer dans les ruines. Jean-Yves Jouannais/narrateur/personnage dira lui « ne pas demeurer sur ce seuil, mais plonger – suspendu au fil de l'imagination d'autrui – dans l'obsession, qui est le nom véritable de la mélancolie ».
C'est l'impression que nous laisse ce beau travail : d'être obsidional, d'avoir pénétré les ruines et de continuer le récit d'un siège (né de la Guerre de Troie). Traduit en terme de cinéma, ce serait reprendre « la bouche d'ombre » des Histoire(s) de Jean-Luc Godard, cet autre mélancolique, cet autre assiégé qui creuse un trou noir, le lac noir des images qui ne finissent pas de passées, quelques part, dans le lointain proche, l'étang sombre de la mémoire assailli de spectres, - un des films lac du cinéaste, mais au statut particulier, car l'auteur s'y plonge, y étudie la possibilité d'une île, tour à tour assaillant et assiégé -; ce serait reprendre « le mouvement secret de la matière » d'Artavazd Pelechian (JLG le cite abondamment dans le court-métrage « L'origine du XXIème siècle »), son utilisation « des images absentes », sa théorie disjonctive dans laquelle une troisième image peut naître du montage de deux, une image au statut incertain (inconsciente, métaphorique, une idée), par laquelle aussi une image voyage dans le film, peut produire des sens différents, des rythmes différents solidaire pourtant de l'organisation organique du montage, entre différence et répétition en somme. Reprendre ces éléments comme après la catastrophe on réemploi les pierres. Benjamin Bardou, à notre sens, ne cite pas ses auteurs, il ne se contente pas d'être inspiré par eux, mais il les pille; il leur emprunte les ruines qu'ils ont eux-même excaver, carrière à ciel ouvert; il re-monte un usage du cinéma en se servant des outils que ces deux maîtres ont forgés, réemployant des formes, inventant à partir d'elle un « regard » qui ne serait plus seulement ce que JLG décrit comme « une image qui aura d'ailleurs la forme d'un soupirail, cette petite chose au ras des trottoirs ». Il nous apprend à lire dans les ruines de notre temps des formes présentes.
http://www.derives.tv/spip.php?article293
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Le métro parisien recèle de quelques affiches trouées, entaillées au cutter, à la découpe droite d'un rapt d'images labiles, principalement carrés blancs visées, empruntées de la sorte. Il faut dire que l'oeil déjà absent d'un début de journée difficile, louche sur le blanc comme sur le vaste espace. Le bombardement d'images d'une époque tapisse le résidu urbain visuel, si facilement happé par une fatigue souriant de connivence aux trafics de seconde main, à l'insu de la surenchère des publicitaires. Où partent ces carrés blancs, vers quels rapiéçages ingénieux? Les trouées du cut auraient-elles quelque rapport avec les échappées et les regards vers les cieux et leurs gros nuages pétris au souffle même d'une beauté? Le début des Tableaux parisiens pixelise le blanc, entre autres couleurs, et accélère les nuées à se confronter à une jonction de plans, à un tissu où la singularité détonne des rapprochements. Et puis, il y aurait urgence à répondre à tous les déclencheurs sonores des journées, les impératifs des boutons qui se répercutent sur la bande son du film, rendue par Benjamin Bardou à l'opacité de ce que le son cadencé porte d'obligé par la face mortifère du progrès, ici mis à jour.
Le travail du film ferait penser à une descente dans le lit du fleuve Histoire pour y trier les cailloux dans le courant, et non se stupéfier à la simple contemplation d'un flux passant. Ce n'est pas la constitution d'une série de cailloux d'archives simplement juxtaposés qui motive l'agencement, le geste ne se hasarde pas au jeter dans le dos des trouvailles, et comme pour l'artiste italien Luigi Lineri, la retenue des pierres a la volonté d'un faire oeuvre. Les pierres seraient, dans les tableaux parisiens, le rattachement aux oeuvres de ceux que l'on porte dans le coeur, et d'une réalité enchâssée dans le passé, à faire ré-advenir. Il y a du risque à manipuler l'archive, le risque de s'empêtrer dans une lecture personnelle d'un sens, et de prendre un vent d'incompréhension. Alors comment un caillou jeté dans le cours de l'histoire pourrait-il créer un paradigme de relecture? Comment peut-il augurer d'un regard à s'ouvrir à l'instar du diaphragme, encore à du nouveau, «est ce que nous pouvons garder artificiellement -ou d'une façon artistique- notre intelligence et notre envie tournées vers l'inconnu? Est ce que nous pouvons garder la liberté et le désir expérimental dans les nouvelles conditions historiques?» (Anders). Puisqu'il y a un défi à relever au sens historique, de ne plus appartenir au linéaire, et «de décomposer l'histoire des vainqueurs», la pratique d'un montage s'envisage ici à l'onde d'un déploiement et l'image d'une défaite, de défaire n'aurait plus de commune mesure avec celle des gagnants/perdants de l'histoire. Le déploiement d'images aurait des formes antinomiques de survenue, entre ricochet et coulée: ricochet à la réussite d'éclairs d'idées par déflagration (les plans de rapprochement sur une statue des Tuilerie main levée vers le ciel comme un derviche, entrecoupées d'images de rythme), ou au contraire, de pesanteur ancrée à un tournant lorsque la pierre se fait sonde à plonger par coulée, les parenthèses s'emboitant, un plan de rail et un travelling d'avion sur les ruines semblants à la durée d'une longueur infinie. Les séquences contribuent par ce qu'elles soulèvent de questionnement sur les vitesses de l'histoire à un rapport à l'ici et maintenant, à la surface d'un pli de ce qu'elles forment des adjonctions comme autant de scansion sabotée des habituels et lénifiants enchainements.
Des plans se répètent aussi, juste inversés dans leur sens de lecture droite gauche, comme le revers du même et la redite d'un cours, envers endroit d'une même catastrophe, mais à d'autres moments aussi dans une portée toute dialecticienne de ce qui pourrait échapper le temps d'une fraction à la répétition standard et stipule le détournement, en acquérant le laps d'un flottement. Avec un même plan, l'acte de re-montage peut faire beaucoup, et puisqu'il est question de tableau, c'est un peu l'histoire du mur d'Odilon Redon, avec un seul pan de mur qui suffirait à faire passer une vie de peintre à observer ce qui en apparait, en non plus forcement soulever des montagnes et épuiser via toutes les stigmates les possibles du voir, tout vu tout connu, des paysages. Entre l'étoilement et l'étiolement, il n'y aurait pas qu'une vague faute de frappe mais le bouleversement d'une frame, d'une image entravée de son cours (on pense à cette image presque stoppée d'une fuite d'un enfant, à l'arrivée d'une troupe, fut-elle le poing levé). Pour utiliser une autre image de Benjamin, ce ne serait pas le train lancé à toute vitesse des révolutions qui guiderait le montage d'images dans un surgissement volontariste mais la sonnette d'alarme tirée, pas trop pour freiner et alerter que pour faire apparaitre un autre rythme dans le corps d'une image qui en relève des séquelles de gestes qui par eux mêmes, dans un ralenti, défont le mouvement dans une onde où apparait une fuite, une sorte de régression à la multiplicité des commentaires et leur cadencé assommant. Les vitesses s'adjoignent dans le film à l'acte d'un traitement d'images, en régression de performance comme une modernité, contre une autre, auquel Agamben semble se référer selon le point d'achoppement qu'il ne lâche pas dans ses développements : «la régression «dionysiaque» de Enzo Melandri est l'image inverse et complémentaire de l'ange benjaminien. Si celui-ci avance vers l'avenir en tenant les yeux fixés sur le passé, l'ange de Melandri recule dans le passé en regardant vers l'avenir. Ils avancent tous deux vers quelque chose qu'ils ne peuvent pas voir, ni connaitre. Ce but invisible des deux images de processus historique est le présent. Il apparait au point où leurs regards se rencontrent, quand un futur atteint dans le passé et un passé atteint dans le futur coïncident durant un instant». La régression est une idée de repartir des images déjà tournées pour essayer de voir comment à notre tour on pourrait être transformé par l'onde rendue ici effective. Peut être que la différence entre vivre des images et exister à partir d'elles (les naufrageurs?) taraude le projet, et fait, en quelque sorte, qu'on a l'impression d'un film véritablement à sa manière, pas forcément à la manière de, comme dans une pièce de Beckett, à défaut de miette, sucer des cailloux à hauteur du temps qui file, selon que l'on en prend quelques uns ou un.
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Mille et une bobines - Octobre 2012
Comment vous présenteriez-vous ?
Benjamin Bardou, 31 ans, de formation artistique. J'ai un intérêt très vif pour tout ce qui est relatif à la perspective et à l'architecture.
Votre site Internet présente vos travaux de matte painting. C'est par ce biais que vous avez abordé l'écriture cinématographique ?
Après mes études, j'ai effectivement commencé à travailler, il y a dix ans, dans le secteur de la post-production comme matte-painter. Issue de la peinture sur verre, cette technique numérique est utilisée pour recréer des architectures ou décors superposés à des plans préalablement tournés.
Pourquoi vous être notamment tourné vers Paris dans chacun de ces courts-métrages ? Quelle image voulez-vous donner à la ville ?
Mon arrivée à Paris a été pour moi aussi bien un choc qu'une fascination. J'ai voulu comprendre le mystère qui entoure cette ville. Dans mes recherches, par le biais du graveur Charles Meryon dont je connaissais l'oeuvre, je suis tombé un jour sur le livre Paris, capitale du XIXème siècle, de Walter Benjamin. Désormais, il ne me quitte plus. Dans ce livre, ce philosophe majeur étudie l'émergence du capitalisme dans la capitale parisienne. Il utilise des catégories d'objets très originales, comme les passages parisiens ou bien encore le praxinoscope, pour montrer la dimension onirique que ceux-ci véhiculent. Il parle de fantasmagories. Il s'intéresse aussi au rôle de l'image et bien entendu aux débuts du cinématographe. Pour faire bref, ce livre a déterminé l'architecture de mon premier court-métrage, Paris, capitale du XIXème siècle. Je le vois comme une petite histoire de la perception urbaine. Comment les citadins de l'époque percevaient-ils la ville avant que les techniques de décomposition du mouvement existent ? C'est la raison pour laquelle ce film fait une sorte de généalogie des techniques de reproduction (photographie, chronophotographie, phénakistiscope, cinéma) en lien avec des lieux qui, pour moi, rentrent en résonance avec celles-ci. Par exemple, comment ne pas voir dans les grands magasins, avec leur architecture circulaire et cyclique, un prolongement du praxinoscope créé vers cette même époque ? Cela reste très hypothétique, mais je ne conçois pas le cinéma autrement que comme un instrument de recherche.
Votre processus créatif est-il long ?
Pour Paris, capitale du XIXème siècle, techniquement, le court-métrage a été très fastidieux à réaliser. La totalité des plans a été photographiée ou tournée en DV, excepté l'intérieur du début qui est une photographie du 19ème siècle. Ensuite, j'ai traité numériquement l'ensemble pour lui donner une patine ancienne. Mon but était de jouer sur les différentes époques et sur l'étrangeté, je dirais fantasmagorique, de l'image. Cela m'a pris environ trois années de travail. Je tiens à préciser que ce film est censé être projeté en boucle dans un espace de diffusion type exposition. L'idée est de concevoir une boucle parmi les autres cycles de circulation de la ville. En ce qui concerne le film Tableau parisien n°1, c'est un prolongement de mon intérêt pour Walter Benjamin. Cet auteur très complexe a abordé énormément de sujets avec une grande cohérence. Il a entre autres traité des thèmes de l'Histoire et de la mémoire. Et développé le concept d'image dialectique, qui me paraît très proche des réflexions sur le montage de Godard et de Pelechian.
D'autres courts-métrages vont-ils suivre désormais ? Un Tableau parisien n°2, par exemple ?
Les Tableaux Parisiens comporteront plusieurs parties qui pourront plus ou moins s'agencer, se superposer, un peu comme les époques qui sont montées/montrées dans ce film. Je pense que ce cycle sera assez vaste et qu'il aura pour but de détricoter ce qu'on appelle l'Histoire des vainqueurs. Le montage dialectique me servirait à redéfinir la notion du temps présent hérité de cette Histoire. Sinon, dans un autre ordre d’idées, je réalise et monte plusieurs vidéoclips. C’est pour moi une façon intéressante de confronter ma technique avec des réalisations sonores contemporaines.
Vous dites que Paris, capitale du XIXème siècle a vocation à être diffusé en des espaces type exposition. Est-ce déjà arrivé ?
Non, Paris, capitale du XIXème siècle n'a pas encore été diffusé dans un espace d'exposition. J'ai pour projet de le projeter un jour dans un passage couvert parisien, là où ce cher Walter Benjamin aimait déambuler. Peut-être lors d'une Nuit Blanche à Paris...
Avez-vous déjà commencé à travailler sur une autre partie desTableaux parisiens ? Comment envisagez-vous la suite de ce cycle ?
En effet, le Tableau parisien n°2 est en chantier. Le cycle suit le mouvement de compression (N°1), expansion et collision. Comme une histoire des masses au XXème siècle prolongée par le XXIème. Je ne pense pas m'arrêter à ces trois parties. J'ajouterai sans doute des post-scriptum ou des annexes. Je vois ce cycle comme un tableau de Paul Klee: une mosaïque de cellules qui peuvent se croiser, se superposer et faire naître un sens différent en fonction de leur configuration.
Vous dites vouloir "détricoter l'Histoire des vainqueurs". Est-ce donc à dire que vous voulez délivrer un message particulier ?
Sans doute. J'ai une conviction politique comme tout un chacun. Choisir et confronter deux images entre elles est avant tout politique, mais la troisième image qui peut en surgir ne peut être imposée. Cela viendra de la sensibilité du spectateur, d'une résonance avec son vécu et sa mémoire. J'avoue que cela reste une supposition. C'est pourquoi je tâtonne, j’expérimente à chaque fois que j'utilise ou non des séquences. Au final, il faut que les photogrammes collent.
Vous parlez de perception, d'onirisme, de fantasmagorie. Jusqu'à quel point le cinéma se détache-t-il d’après vous du réel ? Peut-il alors tout (ré)inventer ?
Je ne suis pas particulièrement adepte de cette idée commune que le cinéma doive faire rêver. Cette idée de rêve est sans doute un héritage des fantasmagories du capitalisme triomphant et fascinant du XIXème siècle. Cela expliquerait que ce septième art si prometteur ne soit devenu qu'un divertissement parmi les autres. Bien entendu, le cinéma peut tout réinventer, mais pour cela, il faudrait véritablement un renouvellement des formes. Je pense par exemple aux années 20 et aux théories russes sur le montage. Aujourd'hui, il y a des choses dans le cinéma expérimental. C’est plus ou moins intéressant.
Vous évoquez votre intérêt pour la perspective et l'architecture. Que pensez-vous du relief au cinéma ? De l'usage de la 3D ?
Le cinéma en relief est jeune. Pour l'instant et pour avoir déjà travaillé sur ce genre de production, le résultat me paraît plutôt navrant. Là encore, les producteurs et les réalisateurs sont très paresseux. Mais il y a de l'espoir : c'est nouveau ! Nous pouvons donc créer des formes nouvelles. Je pense qu'un producteur intelligent ressortirait en relief En présence d'un clown de Bergman, car le sujet s'y prête magnifiquement. Ensuite, le prochain Godard, Adieu au langage, en relief, sera sans doute très intéressant. Je suis curieux de savoir comment le maître du montage va aborder cette (ancienne) technique.
Quelle importance accordez-vous aujourd'hui à Internet dans la diffusion des images ? Est-il pour vous un outil incontournable ?
La miniaturisation des appareils permet de réduire les coûts de production. Internet réduit ceux de diffusion. C'est donc un réel progrès. Néanmoins, les vieux réflexes issus de l'ancien système de production/diffusion sont encore présents sur le réseau. Il reste difficile d'avoir accès à des revues traditionnelles dites spécialisées pour se faire connaître. Celles-ci restent prisonnières de la sortie en salle des films, qui arrive à un niveau de fréquence totalement saturé. Cela rejoint ma thématique du film Tableaux Parisiens qui traite du temps présent. Cette manie de vouloir traiter de films le jour de leur sortie ou même en avant-première est symptomatique. Ici, pour plaisanter, je détournerais bien une phrase de Steiner en disant : "Ce n'est pas le présent qui nous domine. Ce sont les images du présent". A contrario, d'autres sites tels que le vôtre tirent leur épingle du jeu. Grâce à eux, un cinéma différent et nécessaire survit.
Jusqu'à quel point le regard d'autrui sur votre travail compte-t-il pour vous ? Les échanges que vous pourriez avoir avec le public influent-ils sur votre travail ?
Je n'ai pas particulièrement d'échange avec le public. Mon travail reste assez confidentiel. Mes films ont assez peu été diffusés lors de festivals. Et de toute manière, le public n'existe pas. Il n'y a finalement que des individus.
Est-ce que vous prenez plaisir à voir du cinéma plus "conventionnel" ?
Je regarde beaucoup de films dits conventionnels en DVD, mais rarement des films contemporains. Je trouve le cinéma d'aujourd'hui très en retard par rapport à ce qu'il devrait être. J'ai l'impression d'avoir affaire à un cinéma encore très académique, comme si c'était l'Ecole de David qui avait gagné et que les Romantiques n'avaient jamais existé. Je vais rarement au cinéma. En payant dix euros ma place à Paris, je m'attends toujours à ce qu'on me donne le DVD du film avec. Par contre, j'ai été emballé par le dernier de Carax ou encore et toujours par les derniers films de Godard. Ses Histoire(s) du cinéma sont pour moi les plus grands films de la fin du XXème siècle. J'attends donc avec impatience ceux du nouveau.
Martin de Kerimel
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